« L’enfant ne joue pas, il expérimente », entretien avec Josette Serres
S’interroger sur le jeu, c’est aussi partir à la rencontre des références sur le sujet. Josette Serres, docteure en psychologie du développement, d’abord chercheuse au CNRS sur le développement cognitif du tout-petit, puis formatrice petite enfance sur le terrain, nous confie son approche du « jeu » – terme qu’elle balaie d’ailleurs d’un revers de la main pour la tranche d’âge des 0-3 ans. À cet âge, « l’enfant ne joue pas, il expérimente », explique-t-elle.
Comment cela se traduit sur le terrain et qu’est-ce cela implique pour les professionnelles de la petite enfance ? Josette Serres nous donne des éléments de réponse.
1. Une mission : révéler les compétences cérébrales de l’enfant
Les recherches en psychologie du développement sur lesquelles s’appuie Josette Serres montrent qu’il existe un « core knowledge* » – entendez une base de compétences cérébrales chez l’enfant dès sa naissance (des noyaux de connaissances). Ces connaissances viendraient de l’évolution humaine et permettraient au cerveau de l’enfant d’être, en quelque sorte, « précablé », prêt à traiter de l’information, même mathématique, logique ou relevant des lois de la physique, pour s’adapter à l’environnement.
Forte de ce constat, Josette Serres encourage les professionnelles de la petite enfance à ne plus diviser l’apprentissage en activités diverses pour préparer l’enfant à l’entrée en maternelle. Leur tâche principale, assure-t-elle, devient l’observation et l’accompagnement de l’enfant dans « la construction de ses connaissances » au fil de ses questionnements.
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2. Observer pour accompagner
Le jeune enfant cherche à comprendre le monde, comment le monde se comporte et comment son corps se comporte dans le monde. Ses découvertes lui procurent du plaisir et lui permettent de progresser. L’observer dans ses expérimentations est donc loin d’être une tâche passive.
Par leur présence, les professionnelles (ou les parents) contribuent à donner confiance à l’enfant, à le rassurer dans sa démarche exploratrice.
Par ailleurs, observer, c’est comprendre comment le cerveau de l’enfant apprend et être à même de lui proposer un cadre adapté à ses apprentissages. En d’autres termes, si l’on parvient à entrer dans le questionnement de l’enfant, on n’a plus qu’à le suivre pour savoir comment lui fournir le bon matériel, au bon moment… L’idée, c’est un peu « fais ce que tu as envie de faire, moi, je vais alimenter ta machine tout en assurant ta sécurité. »
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3. Expérimenter impose un cadre particulier
Il serait cependant illusoire de croire que toute professionnelle de la petite enfance peut développer cette pratique dans son lieu d’accueil sans un minimum de conditions : certains critères s’avèrent incontournables.
Un outil d’observation : la grille d’observation
Observer sans grille d’observation qui pose les bonnes questions à se poser est une gageure. « Il est impossible de tout retenir et d’aller à l’essentiel sans outil », explique Josette Serres. Avec Anne-Marie Fontaine, la chercheuse a formé de nombreux professionnels à l’observation*.
Une structure à taille humaine
Les grosses structures de crèche rendent difficiles les pratiques d’observation... Par ailleurs, au-delà de 15 enfants dans une pièce, les tout-petits sont en surcharge cognitive et leur taux de cortisol (hormone du stress) augmente : ils ne sont plus en capacité d’apprendre quoi que ce soit. Leurs expérimentations sont freinées.
Une bonne organisation d’équipe
Les structures plus petites permettent une meilleure observation, à condition que l’équipe s’organise et donne à chacun un rôle dans cette pratique. Cela implique que toute l’équipe partage une même vision.
La clé de la réussite réside dans la constitution de petits groupes d’enfants avec un seul adulte par groupe. Cela facilite un glissement vers le point de vue de l’enfant et assure une meilleure disponibilité de l’adulte.
La conviction que cette démarche aide l’enfant
Les assistantes maternelles et les gardes d’enfant ont la chance de pouvoir observer de manière beaucoup plus régulière et efficace les enfants qu’elles accueillent. Mais pour que cette pratique s’avère utile, il est important de l’inscrire dans la durée… et donc d’être convaincue de son bien-fondé.
4. Avoir à sa disposition du matériel pédagogique et des idées
Le matériel à utiliser
Le cadre posé, quel matériel utiliser ? Il n’y a pas de matériel spécifique pour inviter l’enfant à expérimenter ce qui l’entoure. Ce dernier apprécie les objets de la maison et de tout son environnement car il souhaite comprendre ce qu’il voit au quotidien. Les contenants (tels que des boîtes en carton, des flacons, des pots) et de petits objets (recyclés par exemple) en termes de contenus, remportent souvent tous les suffrages. Attention toutefois de les sortir de leur utilisation canonique et de ne pas les associer à des idées préconçues. Si l’enfant s’amuse à empiler des voitures, parfait ! c’est son choix… mais on peut, lors d’une autre séance de jeu, lui proposer toutes sortes d’objets à empiler comme des cubes mais aussi des objets non-empilables comme des balles. Autre point important à garder en tête pour ne pas « sur-stimuler » l’enfant : proposer des objets disparates mais pas trop en même temps.
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De l’inspiration ?
Avoir des objets, très bien direz-vous, mais comment les associer à de bonnes idées ? Il est naturel de solliciter des recettes pour appliquer les principes posés par la recherche. Josette Serres insiste pourtant sur le fait que les professionnelles gagneront en confiance et se sentiront plus valorisées si elles adoptent un point de vue leur permettant de prendre des décisions elles-mêmes. En observant l’enfant, se demander comment il apprend, et comment fonctionne son cerveau, aide par exemple à voir le poids de la probabilité et de la déduction dans ses apprentissages. Ne jamais hésiter à déstabiliser l’enfant en lui proposant des idées farfelues !
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Et en cas de panne sèche, Josette Serres a tout prévu ! Elle vient de cosigner un ouvrage, avec Christine Schuhl, Laissons-les expérimenter ! Accompagner la construction des connaissances chez le jeune enfant, aux éditions Chronique sociale, où elle propose des fiches d’idées de jeux.
Nous pensions en terminer là, pour nous laisser sur une idée à méditer, Josette Serres lance : « quand on cherche à aider quelqu’un, on pense souvent à lui apporter quelque chose en plus – des petites roulettes sur un vélo par exemple… et si la solution était de lui enlever quelque chose – les pédales par exemple ? » Cela devrait donner quelques pistes pour avancer avec l’enfant dans ses expérimentations.
Bon accompagnement !
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* Cf. les recherches de Elizabeth S. Spelke and Katherine D. Kinzler, chercheuses en sciences du développement à Harvard.
** Anne-Marie Fontaine : L’observation professionnelle des jeunes enfants, aux éditions Philippe Duval, 2011