Égalité des chances : le rôle des professionnels de la petite enfance
À l’occasion de la journée de l’Égalité des chances, nous avons replongé dans les écrits de Pierre Moisset, sociologue de la famille et spécialiste du sujet. « Concernant l’accueil des jeunes enfants, notre engagement vise à l’égalité des chances dès les premiers pas pour rompre la reproduction de la pauvreté. Pour cela, l’accueil dans les crèches ou par les assistantes maternelles est considéré comme un levier efficace de réduction des inégalités liées à l’origine sociale. », explique-t-il en reprenant la Stratégie du gouvernement en matière de prévention et de lutte contre la pauvreté. Une manière de valoriser le travail et le rôle des pros au quotidien. Revenons rapidement sur la réalité terrain et les défis en jeu [1].
Augmentation de l’accueil des enfants les plus précaires
Avant de partager les chiffres de l’accueil des enfants issus des ménages les plus fragiles socialement, il est intéressant de constater que ces enfants sont très peu accueillis en lieux d’accueil (individuel ou collectif). Il s’agit là d’un enjeu social pour une meilleure intégration sociale de leurs parents.
Une augmentation sensible depuis 2007
Parmi les enfants issus des familles les plus précaires en France, le taux d’accueil en crèche ou chez une assistante maternelle (au moins une fois par semaine) est passé de 16% en 2007 à 21% en 2013 et la tendance semble se confirmer[2].
Une augmentation hétérogène
L’accueil des enfants les plus fragiles socialement reste majoritairement assuré par les assistantes maternelles. L’augmentation d’enfants accueillis a été davantage assurée par les assistantes maternelles (+62%) que par les établissements d’accueil des jeunes enfants (EAJE) (+23%).
Une prise en charge qui reste partielle
Seuls 64% des enfants en situation d’extrême précarité accueillis chez une assistante maternelle le sont à temps plein, et ce taux passe à 32% pour les EAJE. Cette réalité montre déjà une limite de l’accueil des enfants les plus précaires car l’OCDE souligne que l’accueil de l’enfant doit être « suffisamment intense (nombre d’heures par semaine) et régulier (chaque semaine) pour qu’il joue vraiment un rôle pour plus d’égalité des chances ».
Accueil collectif, accueil individuel : deux rôles différents ?
Si les professionnels de la petite enfance ont tous un rôle à jouer dans la réduction des inégalités de naissance, les clichés qui accompagnent chaque mode d’accueil leur confèrent une fonction un peu différente.
Pierre Moisset estime que les « assistants maternels ont plutôt été promus comme pourvoyeurs de places d’accueil pour favoriser la lutte contre la pauvreté par le retour à l’emploi des parents, là où les établissements d’accueil du jeune enfant (EAJE) ont été promus comme des lieux dotés d’une qualité d’accueil pertinente pour lutter contre la reproduction de la pauvreté par la socialisation précoce ».
Cette dichotomie est largement discutable : les assistantes maternelles sont aujourd’hui des professionnelles de plus en plus formées et capables d’assurer les mêmes fonctions que les EAJE. À l’inverse, les EAJE peuvent également permettre le retour à l’emploi des parents. Ces deux types d’accueil doivent donc être considérés comme des atouts pour les familles les plus précaires.
Volontarisme nécessaire pour changer la donne
Mais au-delà de la typologie des professionnels de la petite enfance, plusieurs éléments s’avèrent essentiels pour que la donne change vraiment et que l’accueil des enfants issus des milieux les plus précaires soit satisfaisant.
La volonté des professionnels d’encadrer ces enfants
Il est important que les professionnels aient la volonté d’accueillir des enfants issus de la grande précarité et qu’ils aient la volonté de changer les choses – une sorte d’engagement inconditionnel. Pierre Moisset pointe cela du doigt dans l’un de ses articles : « il s’agit de pouvoir agir auprès de l’enfant sans en vouloir aux parents de ce qu’ils font ou pas. Il est important que les professionnels, par leurs pratiques, par l’attention qu’ils portent au bébé, puissent transmettre aux parents un exemple d’engagement auprès de leur enfant. »
Quatre chocs à dépasser pour jouer son rôle convenablement
Cet investissement est possible à condition de dépasser quatre chocs, estime le sociologue : un choc « culturel », devant des personnes qui n’ont pas les mêmes limites ou modes d’expression que d’autres parents, un choc « moral », parfois, face à des parents sans activité qui ne prennent pas la peine d’amener leurs enfants ou arrivent en retard sans considération pour l’équipe pédagogique, un choc « de représentation » devant les pratiques et les attitudes parentales, et enfin un choc « d’engagement » consistant à se limiter à l’accueil de l’enfant, sans vouloir en faire trop.
La formation, ce cap incontournable
Dépasser ces chocs ne se fait pas facilement. Il est important de prendre du recul, bien sûr, de ne pas juger les parents avec qui l’on travaille ensuite, mais surtout, il est fondamental d’avoir reçu une formation suffisamment complète pour être à la fois capable d’accompagner l’enfant selon ses besoins et de transmettre à ses parents les fondamentaux de manière subtile. Pierre Moisset recommande par exemple d’utiliser l’observation pour montrer aux parents la singularité de leur enfant, les progrès qu’il réalise et préconise d’insister sur les actions engagées auprès des enfants par les professionnels au quotidien.
L’impact au quotidien des professionnels de la petite enfance
Ainsi faisant, les professionnels formés participent à plus d’égalité des chances. Non seulement ils permettent aux tout-petits de développer leur plein potentiel à différents niveaux (développement du langage, alimentation et plaisir à manger, éveil artistique et culturel,etc.) mais ils accompagnent aussi les parents, afin qu’ils soient plus attentifs aux besoins de leurs enfants et aient les clés pour mieux y répondre. Un cercle vertueux qui contribue à la fondation d’une société plus juste et plus inclusive. En effet, si cet accompagnement ne résoudra pas à lui seul la problématique du manque d’égalité des chances, il joue un rôle non négligeable auprès des familles les plus pauvres.
Au-delà de cette réalité, d’autres problématiques restent à creuser pour agir à plus grande échelle et de manière plus efficace : comment attirer les familles les plus précaires vers les solutions d’accueil, comment continuer à recruter et à former des professionnels dans un contexte de crise des vocations ? Tout un travail de valorisation sociale et salariale semble aujourd’hui indispensable, tout comme des actions de communication et d’incitation à destination des publics plus fragiles socialement. Investir dans la petite enfance, c’est investir dans les professionnels, dans les enfants, et plus généralement dans la société de demain. Autant dire que le retour sur investissement est énorme !
Envie d’œuvrer à plus d’égalité des chances en ouvrant
vos portes à des publics plus fragiles socialement ?
[1] Les professionnels de la petite enfance à l’épreuve de la lutte contre la pauvreté, Les Cahiers du développement social urbain, n°70, deuxième semestre 2019 • La pauvreté des familles : portrait, Métiers de la petite enfance n°276, décembre 2019.
[2] Le Choix de la crèche comme mode d’accueil, entre bénéfices pour l’enfant et adaptation aux contraintes, P. Virot, DRESS, Etudes et résultats (2017).