Écrans entre 0 et 3 ans : quelle attitude adopter ?
Conséquence incontournable de la numérisation de la société : les jeunes enfants sont de plus en plus exposés aux écrans. Souvent décriée, cette exposition nuirait au développement du plein potentiel des tout-petits. Pourtant, est-il vraiment envisageable de les faire grandir sans aucun contact avec les écrans ? N’est-ce pas les priver d’outils faisant partie de notre vie quotidienne ?
Nous avons posé ces questions à Marion Voillot, cofondatrice de Premiers cris, association de recherche sur la petite enfance.
De l’importance de la relation humaine dans le développement du jeune enfant
Une structure légitime pour évoquer l’impact des écrans
Premiers cris, c’est d’abord une initiative de recherche sur la petite enfance, à l’origine de la création d’un ensemble de cinq vidéos qui forment le MOOC « La petite culture numérique » , qui interroge le développement des tout-petits à l’ère numérique. Ce cours est aujourd’hui utilisé pour des formations diverses car il répond à une forte demande d’informations et de formation de la part des familles et des professionnelles de la petite enfance (qu’il s’agisse de psychologues, de personnels de la PMI, d’assistantes maternelles…).
Premiers cris, c’est aussi une expertise hors du commun, à la croisée entre Science et Design pour faire recherche dans la petite enfance.
Premiers cris, c’est enfin des réponses mesurées aux questions fréquemment posées autour du développement du jeune enfant dont celles autour des usages numériques des tout-petits.
Poser les fondements de la relation aux tout-petits
Forte des résultats de cette recherche interdisciplinaire, Marion Voillot commence par rappeler les fondamentaux : rien ne remplace la relation interhumaine pour développer le potentiel de chaque enfant. Cela se vérifie pour l’acquisition du langage, le développement des sens ou encore l’importance du jeu et de la relation parent-enfant.
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Questionner l’impact des écrans sur le développement des enfants
Lorsque le parent passe du temps sur les écrans en présence de l’enfant
Les enfants ont besoin du regard de leurs parents pour développer entre autres leur confiance et leur estime en eux, et, par là, leur plein potentiel – cela a été prouvé par plusieurs expériences. En voici deux : l’une montre que les enfants prennent plus de risques sur les aires de jeux lorsque leurs parents ne les regardent pas. L’autre rapporte que l’enfant obtient de meilleurs résultats lors de compétitions sportives si son parent le regarde.
Ainsi, l’exposition aux écrans ne concerne pas seulement la relation des enfants au numérique mais également le temps que passent leurs parents ou leurs accompagnants en face d’écrans, quels qu’ils soient. On parle alors de « technoférence parentale ».
On parle également de « still face » lorsqu’un écran fige le regard de l’adulte et donc par imitation, celui de l’enfant, qui peut avoir un impact sur ses mimiques émotionnelles par exemple.
Lorsque les enfants passent du temps en solo sur les écrans
Autre problématique : les enfants livrés à eux-mêmes, seuls face aux écrans. Il est important d’encourager l’accompagnement de l’enfant lors des temps d’écran, de lui demander de commenter ce qu’il voit, lui poser des questions etc.
Il est aussi essentiel de questionner le contexte d’utilisation (où, quand et avec qui ?), l’outil numérique utilisé (smartphone, tablette, ordinateur) ainsi que le contenu regardé (approprié à l’âge de l’enfant) : des questionnements qui peuvent devenir des repères d’utilisation des outils numériques par les jeunes enfants guidant le choix de l’adulte accompagnant.
Ne pas banaliser les écrans, ni les diaboliser : accompagner les enfants dans un monde numérique
Face au discours médiatique alarmiste concernant l’usage des écrans par les jeunes enfants, Premiers Cris a fait le choix d’un discours encourageant l’éveil à l’esprit critique de chacun face à cet enjeu de société majeur.
Accompagner les familles et les professionnels plutôt que de les stigmatiser
Plus encore dans les familles que dans le monde de la petite enfance, le recours aux écrans est parfois une aide. Le zéro écran n’est pas nécessairement possible dans toutes les familles, et face à différentes situations. Le parent peut avoir besoin de relais pour répondre aux besoins de tous ses enfants. Il peut alors voir dans l’écran une manière de les occuper en leur faisant plaisir. Il aura alors sélectionné un programme adapté à l’âge de ses enfants et leur posera des questions en fin d’exposition pour s’assurer que tout s’est bien passé.
Interdire les écrans, n’est-ce pas les sacraliser ? Canalisons-les plutôt !
Pour donner aux enfants la possibilité d’évoluer dans le monde de demain, il est intéressant d’explorer la voie du milieu : celle d’une exposition aux écrans encadrée par des adultes conscients des risques et du potentiel qu’ils représentent. « Bannir les écrans semble vain, résume Marion Voillot, mieux vaut apprendre à ses enfants à les utiliser et à rebondir en interagissant avec eux ».
Adopter une attitude qui tire le meilleur des écrans
Pour ce faire, elle rappelle la règle des 3 Cs :
Le contexte (quand, où et avec qui je suis ?)
Le contenu (qu’est-ce que je regarde ?)
Le contenant (quelle interaction de l’enfant autour de l’écran, est-il actif ou passif ?)
La cofondatrice de Premiers cris explique qu’optimiser le temps face aux écrans, c’est :
le faire rimer avec des interactions constantes tout au long de l’utilisation grâce à un accompagnement soutenu ;
il s’agit ainsi de créer des moments d’échanges qui suscitent des ponts entre espace virtuel et espace réel et permettent de sensibiliser à la différence entre les deux, entre ce qui existe réellement et ce qui n’existe que sur l’écran par exemple ;
et enfin, favoriser au maximum des usages où l’enfant est actif, joue et interagit avec l’outil numérique.
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Pour conclure, Marion Voillot, tout à son appel à la modération, lance « plus on se sent aptes, plus on adoptera de bonnes pratiques ». Une manière de rappeler aux professionnelles de la petite enfance et aux parents que les écrans ne sont pas mauvais en soi. C’est l’utilisation que l’on en fait qui peut avoir des conséquences néfastes sur le jeune enfant. Accompagner l’enfant humainement, c’est être présent au gré des aventures qui jalonnent sa vie, des aventures dont les écrans font partie !
Qui est Marion Voillot ?
Marion Voillot est architecte et designer, également docteure en philosophie de la pensée et sciences cognitives de l’Université de Paris.
Son projet de recherche interroge la place du corps dans l’apprentissage dès la petite enfance et à l’ère numérique.
Elle est également directrice de Premiers Cris, association de recherche sur la petite enfance qu’elle a co-fondé en 2018 avec Lisa Jacquey, maîtresse de conférence en psychologie du développement à l’Université de Lille.
Premiers Cris œuvre à la facilitation de projets de recherche-action collaborative qui réunissent professionnel·les de petite enfance, scientifiques et designer à l’image du MOOC intitulé « La petite culture numérique » qui questionne le développement du tout-petit à l’ère numérique dans un contenu de formation sous forme de vidéos, accessibles à toutes et tous.