« J’ai fait entrer l’opéra dans les lieux d’accueil pour les jeunes enfants »

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Ingénieure diplômée, Claire Lairy a tourné le dos à une carrière bien rangée pour suivre la vocation qui l’animait depuis sa plus tendre enfance : devenir chanteuse d’opéra. Désormais cantatrice à la renommée internationale, elle souhaite faire entendre sa voix dans les lieux d’accueil des jeunes enfants. Une manière de se sentir utile et de communiquer sa passion. Le résultat ? Un spectacle d’une qualité artistique extrême, qui a déjà convaincu de nombreuses professionnelles de la petite enfance, de nombreux parents… et de nombreux enfants. Edumiam est partie à la rencontre de cette soprano.

Retour sur cette superbe initiative.

Comment est née l’idée de ce projet ?

J’ai toujours été passionnée par le chant lyrique et la musique classique. À la naissance de mon premier enfant, j’ai immédiatement souhaité lui communiquer cette passion. Or, je me suis rendue compte qu’il n’y avait aucune offre musicale décente pour les enfants de moins de trois ans. C’est de cette déception et de la conviction que la musique est un allié important pour le développement de l’enfant qu’est né mon projet.

Comment avez-vous réussi à faire de ce projet une réalité ?

J’ai pris mon temps, j’avais envie de faire les choses bien et de me donner toutes les chances de réussir. J’ai donc fait appel aux lumières de nombreux spécialistes – des neurologues, des neuropsychologues, des pédiatres et des professionnelles de la petite enfance (assistantes maternelles, personnels de crèches et de micro-crèches). Après un an de recherches et d’études, j’ai commencé à travailler sur le spectacle.

Nous l’avons d’abord écrit, puis nous avons imaginé le décor et les costumes. Ces derniers éléments ont nécessité des centaines d’heures de travail (les costumes et les décors ont été réalisés par les étudiants en dernière année de l’Ecole de costumes de Cannes).

Le spectacle fut complètement terminé au bout d’un an et demi de travail.

Quelle a été la réaction de vos premiers spectateurs ?

L’alchimie a tout de suite pris. Les professionnelles de la petite enfance sont toutes étonnées du silence absolu des jeunes enfants durant le spectacle qui dure tout de même 25 minutes. Ces derniers sont vraiment obnubilés dans le chant. Il faut dire que tout est fait pour que les jeunes enfants adhèrent au concept. La voix lyrique est un instrument puissant, nous y allons donc crescendo. Quant au décor, ils l’investissent à la fin et en sont particulièrement friands.

Côté parents et professionnelles de la petite enfance, la réception est très bonne également. Le fait que le spectacle soit très qualitatif permet aussi, indirectement, de valoriser les acteurs de la petite enfance – leur proposer une offre de qualité, c’est leur montrer qu’on a conscience de leur travail formidable auprès des enfants.

Quel est l’intérêt de faire entrer la musique classique et l’opéra dans l’oreille des jeunes enfants ?

Le rythme a une place privilégiée dans l’éveil musical du jeune enfant : c’est par lui que l’enfant apprend le langage. L’exposer très tôt à une grande variété de rythmes et de sons lui permet de garder sa plasticité cérébrale et ses capacités d’adaptation uniques - ce qui garantit une assimilation plus facile des langues étrangères par exemple. Or, le rythme de la musique classique est beaucoup plus varié que celui de la musique de variété par exemple. Dans un morceau de musique classique, il y a une énorme variété de rythmes et de sons. Au-delà de cet aspect, la musique classique est connectée à de nombreux apprentissages, le langage et le développement moteur bien sûr mais aussi le bien-être, l’écoute, la sociabilité et le développement des capacités spatio-temporelles. Les bénéfices de la musique classique sont innombrables !

Pour en savoir plus sur les thématiques de l’éveil musical, du langage et sur le développement moteur de l’enfant, retrouvez notre formation éveil artistique et culturel, notre affiche développement du langage et notre formation langage ainsi que notre formation éveil psychomoteur.

Quels défis reste-t-il à relever pour que la musique et l’opéra riment avec éveil de l’enfant ?

Je dirais qu’il y a deux défis : il reste une sorte de verrou culturel sur l’opéra de la part des professionnelles de la petite enfance. Ce verrou se lève à chacune de mes interventions – ce fut le cas à Marseille où le bouche à oreille après notre premier spectacle en ZEP a attiré énormément d’assistantes maternelles aux représentations suivantes. Les professionnelles qui viennent au spectacle sont interloquées de voir que les enfants sont attentifs tout au long de la séance – certaines n’ont pas encore intégré le lien puissant entre musique et développement de l’enfant. Ce sont leurs questions sur l’attitude de l’enfant qui nous permettent de montrer ce qui est en jeu durant nos représentations. 

L’autre défi vient du monde de l’opéra et de la musique en général. Il n’est pas encore communément admis que les très jeunes enfants sont hyper réceptifs à la musique classique. De fait, le spectacle jeune public n’attire pas vraiment les artistes, qui le voient souvent comme un mal nécessaire à l’obtention de subventions... C’est à notre association qu’il revient d’opérer une réconciliation et de les convaincre qu’en tant que chanteurs, nous pouvons être utiles aux jeunes enfants et inversement ! C’est extrêmement valorisant de travailler aux côtés des jeunes enfants, qui sont un public impitoyable.

Quels conseils donneriez-vous aux professionnelles de la petite enfance qui souhaitent suivre votre voie/x ?

D’abord, je leur dirais de ne pas avoir d’a priori. Pour aimer l’opéra, il n’y a pas besoin d’avoir de bagage culturel – c’est d’ailleurs pour cela que ça marche si bien avec les enfants. Un cœur et deux oreilles suffisent. Pour découvrir mon univers, l’univers de la musique classique en général et des œuvres de musique classique accessibles aux jeunes enfants, ils peuvent consulter mon site (ou d’autres sites).

Par ailleurs, j’ai commencé mon blog pour donner des pistes d’exploration et démystifier un peu la musique classique – j’espère pouvoir les aider de cette façon aussi.

Ah et aussi, la musique qu’elle soit classique ou non, c’est d’abord des rythmes. Favoriser le rythme avec les jeunes enfants – le rythme en les faisant danser, en les faisant répéter des séquences rythmiques, en jouant avec des objets, c’est déjà les faire entrer un peu dans la musique, c’est partager des moments privilégiés. De ce partage musical naît le plaisir, lui-même source de tous les apprentissages !