Valoriser les langues pour promouvoir le vivre-ensemble
La semaine dernière, nous vous parlions de l’école m, structure d’accueil bilingue.
Aujourd’hui, nous revenons sur la thématique du plurilinguisme chez les jeunes enfants.
Pour qui s’intéresse à la pratique des langues auprès des enfants, Dulala s’impose immédiatement. Sa fondatrice, Anna Stevanato, elle-même polyglotte et victime, petite, de préjugés liés à l’une de ses langues maternelles, diffuse son message avec forte conviction depuis plus de dix ans. « Dès le plus jeune âge, les langues, clé de voûte de l’identité d’une personne, doivent servir de ponts entre les cultures, et non s’imposer comme des murs entre les gens », explique-t-elle.
Les langues comme point de départ d’un cercle culturel vertueux
Et les faits vont dans son sens. Permettre aux professionnelles de la petite enfance de se former à la pratique des langues étrangères avec les jeunes enfants va bien au-delà d’un apprentissage linguistique. Anna Stevanato cite une enquête réalisée à chaud puis à froid sur des personnes ayant participé à ses formations. Il en ressort que 97% des participants estiment que l’intégration de langues étrangères dans leur structure d’accueil a contribué à développer le lien social et la mise en œuvre de nouvelles dynamiques, 86% que cela les aidera à développer des pratiques pédagogiques pour l’accueil des enfants et 80 % estiment que cela participe à la déconstruction des préjugés.
Ces chiffres confortent Anna Stevanato dans sa mission de « faire de Babel une bénédiction ». Mettre les langues au cœur du projet pédagogique des structures d’accueil consiste en réalité à une invitation à s’ouvrir au monde, insiste-t-elle. La langue est une question cruciale pour tout individu. Enseigner les langues étrangères aux jeunes enfants leur donne l’envie d’apprendre, les ouvre à la diversité, renforce leurs compétences psycho-sociales, en développant leur acceptation de l’altérité, leur empathie et leur tolérance, et les rend plus adaptables.
Dans les structures éducatives, la pluralité des langues doit donc s’imposer comme une richesse évidente. Les enfants sont très sensibles aux représentations associées à leur langue. Nier la ou les autre(s) langue(s) d’un enfant reviendrait à nier une partie de son identité et à ébranler sa construction identitaire. Au contraire, lui montrer que sa langue a de la valeur, c’est lui redire la richesse de son identité, c’est lui donner confiance en lui, et l’encourager à valoriser sa culture et les multiples strates de sa personnalité. On touche là à un enjeu d’égalité des chances et de lutte contre les discriminations.
Toutes les langues à égalité, toutes les identités valorisées
Le mécanisme que nous venons de décrire fonctionne aussi chez certains professionnelles de la petite enfance, qui développent parfois une honte de leur langue d’origine. Beaucoup témoignent que la pratique de leur langue maternelle leur vaut parfois des critiques. Des langues non partagées peuvent devenir un outil d’exclusion. Cela pour deux raisons : d’abord parce qu’elles ne permettent plus un échange immédiat, ensuite parce qu’elles sont associées à des représentations sociétales dont il est parfois difficile de s’émanciper.
Cela explique pourquoi certaines professionnelles renoncent à chanter des berceuses dans leur langue maternelle par exemple. Le lingala ? Le portugais ? L’arabe ? Quel intérêt ? se demandent souvent les parents, obnubilés par l’anglais. Pourtant, le contact avec une langue étrangère, quelle qu’elle soit, facilite la pratique des langues par la suite et développe chez l’enfant de nouvelles compétences. Celle, par exemple, d’apprendre plus facilement l’anglais plus tard dans sa vie ! « Il faut donc sortir du diktat imposé par la société contemporaine où une ou deux langues seraient valorisées par rapport aux autres », préconise Anna Stevanato. Redonner aux professionnelles et aux parents un espace pour leur langue maternelle leur permet de regagner en dignité et en confiance en eux, de laisser derrière eux un vécu douloureux de mépris collectif, et de favoriser le vivre-ensemble.
Cette optique ne vise jamais à dénigrer le français. Le français reste bien sûr la langue de communication principale dans la structure d’accueil, la langue de la relation à l’autre, de l’intégration aussi. On a souvent peur d’une pollution linguistique et on croit, à tort, que cultiver la langue maternelle d’un enfant non-francophone ne lui permettra pas d’adopter le français comme langue d’échange au quotidien. Il s’agit là d’un mythe. « L’unité peut tout à fait se faire dans la diversité et se renforce, explique Anna Stevanato, par le biais de cette diversité ».
Dans notre formation langage, un module est réservé au plurilinguisme : inscrivez-vous pour en savoir plus !
Les moyens pour s’ouvrir à la diversité
Du fait de tous les clichés dont nous sommes tous empreints, la culture de la diversité ne s’impose pas d’elle-même. Il faut la travailler. Dans les structures d’accueil, « il faut en discuter en équipe et faire un bilan des ressentis », encourage Anna Stevanato. Poser les blessures liées à l’exclusion linguistique permet de lever des fantasmes et des incompréhensions et de répondre à d’autres questions : que veut dire notre rapport aux langues ? quel temps accorder au plurilinguisme ?
Une fois que l’équipe se met d’accord sur un projet pédagogique, il est important de se demander comment faire vivre le plurilinguisme. De quels moyens dispose-t-on ? Comment l’espace dans lequel on accueille les enfants peut-il favoriser notre approche ? Quels projets d’équipe, quels ateliers peut-on lancer pour exploiter au mieux la diversité linguistique de son lieu d’accueil ? Quel protocole d’accueil souhaite-t-on mettre en place (recenser la diversité chez les professionnelles et les parents peut largement aider à l’optimiser) ?
Reste ensuite la question des ressources. Anna Stevanato la balaie du revers de la main. « Il existe de nombreuses ressources faciles d’accès et gratuites », mentionne-t-elle, à commencer par celles recensées sur le site de Dulala. Des comptines, des livres jeunesse, des graphies étrangères pour le nom des salles, les parents, aussi – il faut exploiter tous les possibles. Et pour qui serait vraiment en manque d’inspiration, la fondatrice de Dulala rappelle qu’il est toujours possible de faire appel à des associations telles que Musique en herbe ou Enfance et musique, qui proposent des comptines dans d’autres langues, ou encore à des professionnels ressources pour des ateliers ponctuels.
Pour conclure, Anna Stevanato rappelle que le monolinguisme n’existe pas : 1 enfant sur 4 grandit en France avec au moins une langue étrangère en plus du français. Tous les enfants sont par ailleurs confrontés à d’autres langues, qu’elles soient régionales ou étrangères, aussi bien à l’école que lors de voyages. Intégrer ce plurilinguisme à la crèche ne peut qu’aider nos enfants à grandir dans un monde riche de sa diversité.
Si vous pensez à mettre en place le plurilinguisme dans votre lieu d’accueil, retrouvez notre affiche plurilinguisme dans nos outils pratiques.